Je ne me souviens que de peu de choses en rapport avec mon enfance, ma vie avant la protection de mon actuel Père. J’avoue ne jamais avoir fait particulièrement d’efforts pour graver en mon interne ces souvenirs répugnants. Veuillez me pardonner si je commets quelques ellipses ; il m’arrivera sans doute, au court de mon récit, d’omettre quelques détails dont je n’ai aucune envie de voir l’évocation se faire ici-bas.
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« C’est quoi ce truc ? T’es sûr que ça vient de cette planète ? »
« Bah oui, c’est ce que le prélèvement à capté. Surement une forme de vie basique. »
« Emmenons-là quand même, on ne sait jamais, on pourrait peut-être en faire quelque chose. »Je me souviens des larmes dévalant mes joues de petites filles, bien que j’en aie gommé l’origine. Je me souviens du bruit assourdissant d’un moteur lancé à toute vitesse dans le flot spatial. Je me souviens de la peur qui me noue l’estomac. Et ces choses, ces choses hideuses trop étranges pour être foncièrement gentilles. J’avais raison de me méfier dès le départ. Bien vite, la douleur s’est invitée contre mes flancs, mon corps tout entier, ma peau alors d’enfant.
Je tairais les plus sombres explications mais sachez qu’ils firent de moi leur marionnette. Qui qu’ils puissent être – j’ai oublié leurs noms et ne tient pas à m’en souvenir -, leurs exactions resteront à jamais figées à l’intérieur de moi. Je me rappelle parfaitement la douleur, la sensation de me déchirer de l’intérieur, l’acide du sang de l’un des leurs qui s’amusent à me brûler la peau, stigmatisant mon derme encore aujourd’hui capable de démontrer que son bouclier fut plus qu’érafler. Je me souviens de la faim qui tiraille les entrailles, de la soif qui assèche une gorge qu’ils refusaient d’abreuver. Quoi que puissent avoir été leurs desseins, ils manquèrent de peu de me tuer. Que l’Empereur Zarkon puisse un jour les lâcher dans l’une de ses arènes, si ce n’est guère déjà fait. Leurs simples morts me ferait bien trop de peine… Ce ne serait pas assez cher payé pour tout ce qu’ils m’ont fait, pour que ma vengeance soit complétée.
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« Arh ! Nous n’avons rien à offrir à ce commandant Galra… Je t’avais bien dit de ne pas jeter ces denrées-là ! »
« Nous n’avons vraiment rien à lui refiler ? »
« Euh… Ah, attends, l’espèce de petit ver, peut-être ? »Je me souviens de ce jour-là. Ils étaient venus me chercher, me traînant dans leurs sillages plus qu’ils ne m’escortaient, à vrai dire. Mon corps n’était plus le même que lorsqu’ils m’avaient ‘prélevé’. Je n’étais plus une enfant désormais ; plus vraiment. Je devais avoir dans les douze ans.
Ils me jetèrent dans une pièce avant de m’y abandonner, m’ordonnant plus que m’enjoignant à rester calme. J’ai observé autour de moi. L’endroit ressemblait à s’y méprendre à une sorte de chambre ; tout du moins, autant que je me souvenais de ces choses-là.
Mon observation n’aurait su durer plus d’une poignée d’instants, cependant. Un grondement surgissant dans mon dos me fit me figer sur place, reprenant alors la peau de proie que j’avais été jusqu’alors.
J’appris plus tard qu’il s’agissait d’un puonker, sorte de gros félin aux crocs suintants le poison corrosif. Sur le moment, j’ai simplement eut le réflexe d’aller me cacher dans une interstice entre un meuble et un mur solide, au creux de laquelle il ne pouvait m’atteindre – bien que cela ne l’empêcha nullement d’essayer. J’ai hurlé à plein poumons, comme si cela pouvait avoir eu un quelconque effet, le faire fuir. Au contraire, il me semblait que mes cris ne faisait que nourrir sa bestialité.
Ses griffes presque sur moi, j’ai fermé mes yeux si fort que j’en ai eu mal. J’ai perçu une sorte d’aboiement mécontent puis un choc proche de moi – sans pour autant en être directement affecté. Lorsque j’ai rouvert les paupières, l’animal n’était plus devant moi.
« Qui a laissé cette maudite bête entrer dans mes quartiers ? J’avais ordonné de boucler les fenêtres à particules ! »Une voix, puissante et imposante, s’invita dans la mêlée. Je n’ai pas immédiatement compris les tenants et les aboutissants que tout cela, de tout ce que ça signifiait. Rapidement, mon regard croisa une œillade jaunâtre qui s’était incrustée à l’entrée de ma cachette de fortune. J’ai crié, encore, morte de peur alors. Mais l’inconnu ne parut guère impressionné, bien au contraire. Il se mit à me parler. C’était quelque chose de trop étrange, pour moi.
« Sors. Cette bête ne peut plus te faire de mal. »Je n’ai pas obtempéré, trop perturbé et apeuré par des paroles qui pourraient ressembler au mie mais n’en avoir en aucun cas la substance. Je l’ai laissé déblatérer d’autres paroles que je ne saurais plus resituer aujourd’hui.
« Je te laisse ceci, si jamais tu as faim. »Il plaça à l’entrée de mon repaire dérobé ce qui s’apparentait à un fruit étrange, à la couleur et à l’aspect qui n’appelait en rien à la consommation. Et pourtant… Sur le moment, une fois la peur passée, j’eus si faim que j’ai jeté au diable les apriori que j’avais alors. M’emparant de l’étrangeté, j’y croquais à pleines dents … et me surprit à m’en ravir autant que possible. Son goût et sa texture apparaissait comme une plume d’ange sur mon palais et ma langue abimée.
Je ne saurais dire combien de temps s’était écoulé depuis le moment où mon singulier bienfaiteur avait déposé ce fruit pour moi, mais en décidant de sortir de ma cachette, je le trouvai assis, là, dans ce que j’identifiai comme un fauteuil. Il semblait consulter un écran avec une grande attention. Je me suis approchée de lui, la curiosité comme un moteur.
En me voyant arrivé près de lui, il n’a ni rit, ni fuit ni même cherché à me faire du mal. Au contraire. Il a posé une main épaisse sur mon crâne et me parla, encore. Sa voix me rassurait.
« Comment t’appelles-tu ? »
J’ai ouvert la bouche, pourtant, mais rien n’en sorti.
« Je ne sais plus. »
« Vraiment ? »
« Oui. »Nous restâmes à parler quelques longues minutes avant qu’il ne me propose ce que je n’aurais jamais osé pouvoir imaginé même en rêve.
« Resterais-tu avec moi, si je te le demandais ? »Je n’ai pas hésité un instant. Pour moi, dire non, c’était fatalement retourner à ma geôle d’avant, avec mes anciens ‘amis’. Jamais de la vie je n’aurai accepté de revenir en arrière. Mes vœux prononcés, je souhaitais également faire savoir que je souhaitais remboursé ma dette.
« Comment puis-je vous remercier ? »
« Tout dépend. Que sais-tu faire, exactement ? »Je n’ai pas su lui répondre immédiatement. Il me laissa le temps de la réflexion. Cette-nuit-là, je dormis avec lui. Il me promis de trouver un endroit pour moi, une chambre, également. C’était si nouveau que je me laissais aller à nouveau au confort d’un lieu de repos autre qu’une cage.
***
« J’ai trouvé, tu danseras pour moi et mes invités, si cela te convient. »C’est tout à fait par hasard qu’il me surprit enchaîner mes premiers pas de danses, alors que j’étendais le linge afin de me rendre aussi utile que possible. Bien que surprise par cette requête, j’ai accepté et n’ai eu de cesse de perfectionner mes techniques, jour après jour, afin de plaire toujours plus à cet extra-terrestre que j’idéalisais de jour en jour comme un père, un salvateur.
Un jour, mon chemin croisa celui d’un change-forme, ces êtres mystérieux. Il était blessé. Oh, bien sûr, il me fallut batailler pour que mon très cher père accepter de le garder avec nous, mais il demeura à mes côtés suffisamment longtemps pour que je me mette à le considérer comme un frère. J’étais si heureuse, si heureuse…
Et puis, Voltron est arrivé.
Mon frère était sur un vaisseau en action lorsqu’il fut attaqué par l’immense robot stellaire. J’ai été témoin de l’explosion à travers la vitre du navire de mon père. Mes larmes ne le firent pas revenir, pas plus que mes cris ou ma douleur suintante. J’avais l’impression que l’on m’avait brusquement arraché une partie de moi. Ces terroristes paieront cher cette humiliation qu’ils me firent endurer. Cette peine, cette souffrance, je le leur rendrais ! Depuis ce jour, je suis d’autant plus convaincue par la légitimité des Galra. Rien ne saurait m’en faire douter. Les années ont passés, les druides m’ont guérit sur demande de mon père de mes premières blessures et je suis d’autant plus prête à combattre pour la liberté.
La nôtre.
Celle de l’univers tout entier.